Ce qui n’a pas de nom, Piedad Bonnett

Ce qui n’a pas de nom, Piedad Bonnett


Ce qui n’a pas de nom en a pourtant un. Le suicide. Un mot qu’on n’aime pas dire, un mot qui fait baisser la voix quand on le prononce, un mot qu’on n’aime pas entendre non plus, qu'on a envie d'ignorer, de maquiller en accident ou en événement, mais pourtant ça existe et ça a un nom malgré tout - et ce nom c’est suicide. Sauf qu’ici Piedad Bonnett parle du suicide de son fils, et là, oui, là effectivement ça devient innommable. C’est vrai que ça n’a pas de nom, que ça ne peut tout simplement pas en avoir. La mort de son enfant, c’est dans le désordre des choses. Alors le suicide, vous pensez bien, évidemment qu’on en perd ses mots…
"Les faits, comme toujours, poussent les mots dans leurs retranchements" 
c'est bien dit et c’est tellement vrai.

Piedad Bonnett, face à l’innommable, décide d’écrire et nous livre ce témoignage, ce questionnement plutôt. Pourquoi mais pourquoi mais pourquoi répété en boucle jusqu’à l’infini. Oui, pourquoi est la seule question qui vaille dans une telle circonstance et on peut se la poser tout le temps qui nous reste à vivre sauf qu’on n’aura jamais de réponse. Il faut le savoir. Aucune réponse ou alors mille réponses, tout est tellement imbriqué dans la vie, toutes ces petites causes qui produisent ces petits effets, ou ces grands effets, comme le battement d’ailes du papillon qui provoque une tempête quelque part de l’autre côté du monde, comment remonter réellement à une cause ? Impossible. N’empêche, il faut se la poser cette question, il y a un temps pour les questions, et au bout d’un moment il y a un temps non pas pour les réponses mais pour l’acceptation du fait qu’il n’y aura jamais de réponse. La messe est dite, c’est comme ça la vie, ça donne pas de réponse. 

Dans ce livre donc, la mère de Daniel tente de comprendre le geste de son fils, tente de savoir qui était son fils, quels ont été ses derniers moments, quelles ont été ses dernières pensées et puis surtout pourquoi mais pourquoi mais pourquoi ? Une question que je me suis posée aussi. La même question et la même absence de réponse. Ou alors une réponse qui ne résout rien mais qu’on peut se donner, une réponse que Piedad Bonnett nomme le quatrième mur. J’ai bien aimé (si on peut parler d’aimer sur un tel sujet) ce concept que j’ai trouvé très visuel et aussi explicite que possible. Ça évoque ce parcours dans la folie qui est propre à chacun et qui peut conduire au suicide parfois, ce sentiment que peu à peu des murs se dressent autour de soi. D’abord un, c’est gérable, on peut le longer, voire le contourner, puis deux, là déjà ça ressemble à un couloir et il faut se méfier de la trajectoire (mais il est encore possible de faire demi tour), ensuite vient le troisième mur avec lequel on se retrouve carrément dans une impasse et si le quatrième mur se referme lui aussi, c’est fini il n’y a plus d’issue et chacun réagit comme il peut, le suicide étant une manière de s’échapper.
C’est marrant j’avais noté ce concept de quatrième mur dans un coin de ma tête au moment de ma lecture et maintenant je suis incapable de retrouver le passage en question… mais bon je n’ai pas fabulé, croyez-moi sur parole, et quand bien même je l’aurais fait, cette réponse en vaut bien une autre, non ?

Pour conclure, je dirai que ceci est un livre surtout essentiel pour celui qui l’écrit et sans jugement j’ajoute que c’est très bien comme ça. On fait ce qu’on peut. Ah oui, et sinon j’ai beaucoup aimé plusieurs des phrases que l’auteur a placé en épigraphes de ses chapitres dont celle-ci qui colle bien pour le mot de la fin :
" S’il te plaît, reviens. S’il te plaît, existe. Mais il ne se passe rien… "
 (Mary Jo Bang)


D'autres petites traces par ici...


Quatrième de couverture : Dans ce court récit, Piedad Bonnett raconte à la première personne le suicide de son fils Daniel, vingt-huit ans, qui s’est jeté du toit de son immeuble à New York. Huit ans plus tôt, on l’avait diagnostiqué schizophrène. Dans un milieu bourgeois, corseté par des conventions en tout genre, il n’est pas de bon ton de parler crûment de la mort et de la folie ; c’est pourtant ce que fait l’auteur, dans une langue sobre et sans effets de manche, avec une sincérité bouleversante. Elle raconte l’incrédulité à l’annonce du suicide, le besoin désespéré de trouver des traces d’une vie personnelle, un journal, des écrits, les étapes de la mort occidentale, mais aussi et surtout le combat inégal d’un jeune homme (et de ses parents) contre la folie qui le cerne. Une plongée dans la douleur qui ne verse jamais dans l’apitoiement ou l’impudeur : l’écrivain n’a que les mots pour dire l’absence, pour contrer l’absence, pour continuer à vivre.
« Un livre incandescent, courageux jusqu’à la violence, extraordinaire. Piedad Bonnett écrit depuis l’abîme et éclaire l’obscurité avec un texte pénétrant et indispensable. » Rosa Montero 

Commentaires

  1. Si je peux être honnête, et sans remettre en question tes qualités de photographe... "je n'aime pas les Quality Street". Voilà c'est dit...

    Par contre, le roman, son sujet, m'évoque... Cela pose beaucoup de question, cela interroge, des questions souvent sans réponses...

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    1. Je me doute que tu es du genre à cacher de la vodka dans la boîte de Quality Street, moi je les aime bien comme ils sont...

      Le livre n'est pas un roman mais si tu aimes les questions sans réponse vas-y... De toutes manières les vraies questions n'ont jamais de réponse hein...

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  2. Déjà noté. Puis, souligné après lecture de ton billet.
    Et je lis: «Le livre n'est pas un roman». C'est-à-dire? Plus de l'ordre du récit? du témoignage? Éclaire ma lanterne!

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    1. Ben oui madame Couette, elle raconte la folie de son fils à la première personne, c'est un un récit.

      C'est très court et ça se lit super vite. Après, comme je dis, ce n'est pas une lecture essentielle, ce fut surtout essentiel pour l'auteur de l'écrire.

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  3. Une question subsidiaire : c'est une clémentine ou une mandarine.
    Je n'arrive jamais à faire la différence. C'est comme la vodka russe ou la vodka polonaise. Les yeux fermés, je n'y vois rien...

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    1. C'est une clémentine... Par contre il va falloir me croire sur parole car je ne saurais expliquer la différence ;)

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  4. Je l'avais lu d'une traite à sa parution. J'ai trouvé aussi très intéressant son questionnement sur la maladie et sur les parents d'un adulte malade. Les difficultés, le regard. Elle a mis en ligne les toiles de son fils, il était doué. Pour le suicide, pareil, je me suis posée la même question.

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